mercredi 16 décembre 2009
Pourquoi manger nos amis les bêtes ?
Article de Karine Lou Matignon, paru dans la revue "Nouvelles Clés" http://www.nouvellescles.com/
" Entre volupté et sensualité, la viande malgré tout nous rend triste. Il y a belle lurette que les prières sacrées des fiers chasseurs-cueilleurs adressées en guise de remerciements aux esprits des animaux tués n’ont plus le moindre écho. Festoyer la bonne chère se heurte désormais à l’automatisation de la mort et au débitage hypertechnicisé des carcasses animales désincarnées. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’histoire commence avec la prévoyance des hommes du Néolithique, qui firent de l’élevage le ressort nécessaire à l’épanouissement économique et démographique humain. Tandis que les animaux permettaient à nos ancêtres de s’humaniser par le partage - et de se régaler d’un sentiment de toute-puissance sur la nature - les bêtes se sont rapidement vu attribuer des rôles précis, dotées de symboliques puissantes, tantôt déifiées, tantôt honnies. Dès lors, la viande n’était plus un aliment comme les autres, sa consommation réglementée, comme si un risque étrange mais bien réel s’était mis à peser sur l’homme. Pour l’ethnobiologiste Jacques Barrau, cette ambiguïté vient, « d’une part, de ce sentiment de culpabilité qu’engendrent le sacrifice et la consommation de bêtes avec lesquelles nous nous sentons des affinités et, d’autre part, de ce quasi irrépressible désir de nous approprier leur énergie, leur « souffle vital », en les dévorant…» Aucune civilisation n’échappe à cette ambivalence, à ce pas de deux permanent entre plaisir et aversion. Alors on s’arrange comme on peut. C’est ainsi que les anciens Grecs ne mangeaient aucune viande de boucherie qui n’ait été sacrifiée sur les autels, toute viande non saignée se révélant immangeable parce que le sang, l’anima, le principe vital, était réservé aux dieux. En Égypte, les fermiers sédentaires de la vallée du Nil étaient friands de cochon, jusqu’à ce que sa consommation diminue, au 2ème millénaire av. J.-C., lorsque cet animal s’est transformé en offrande exclusivement dédiée à Osiris, dieu du Nil et de la végétation - sauf les nuits de pleine lune, où le porc pouvait fugacement flatter les palais humains. Les règles en matière de consommation animale ont ainsi pris racine dans le terreau anthropologique de la religion et de la mythologie, puis se sont diversifiées et complexifiées. « S’interdisant de manger des viandes non saignées, mais refusant de verser le sang des victimes sur leurs autels, les chrétiens de l’Antiquité proscrivirent aussi la consommation des animaux sacrifiés selon les rites païens » note l’historien Jean-Louis Flandrin. « À partir de là, on aurait pu imaginer deux attitudes : ou bien renoncer totalement à l’alimentation carnée comme impure, ou bien désacraliser la mise à mort des animaux. C’est la seconde que l’Église a officiellement choisie. " La suite de l'article revue " Nouvelles Clés",
article de Karine Lou Matignon, paru dans la revue "Nouvelles Clés" , actuellement en kiosque http://www.nouvellescles.com/
" Entre volupté et sensualité, la viande malgré tout nous rend triste. Il y a belle lurette que les prières sacrées des fiers chasseurs-cueilleurs adressées en guise de remerciements aux esprits des animaux tués n’ont plus le moindre écho. Festoyer la bonne chère se heurte désormais à l’automatisation de la mort et au débitage hypertechnicisé des carcasses animales désincarnées. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’histoire commence avec la prévoyance des hommes du Néolithique, qui firent de l’élevage le ressort nécessaire à l’épanouissement économique et démographique humain. Tandis que les animaux permettaient à nos ancêtres de s’humaniser par le partage - et de se régaler d’un sentiment de toute-puissance sur la nature - les bêtes se sont rapidement vu attribuer des rôles précis, dotées de symboliques puissantes, tantôt déifiées, tantôt honnies. Dès lors, la viande n’était plus un aliment comme les autres, sa consommation réglementée, comme si un risque étrange mais bien réel s’était mis à peser sur l’homme. Pour l’ethnobiologiste Jacques Barrau, cette ambiguïté vient, « d’une part, de ce sentiment de culpabilité qu’engendrent le sacrifice et la consommation de bêtes avec lesquelles nous nous sentons des affinités et, d’autre part, de ce quasi irrépressible désir de nous approprier leur énergie, leur « souffle vital », en les dévorant…» Aucune civilisation n’échappe à cette ambivalence, à ce pas de deux permanent entre plaisir et aversion. Alors on s’arrange comme on peut. C’est ainsi que les anciens Grecs ne mangeaient aucune viande de boucherie qui n’ait été sacrifiée sur les autels, toute viande non saignée se révélant immangeable parce que le sang, l’anima, le principe vital, était réservé aux dieux. En Égypte, les fermiers sédentaires de la vallée du Nil étaient friands de cochon, jusqu’à ce que sa consommation diminue, au 2ème millénaire av. J.-C., lorsque cet animal s’est transformé en offrande exclusivement dédiée à Osiris, dieu du Nil et de la végétation - sauf les nuits de pleine lune, où le porc pouvait fugacement flatter les palais humains. Les règles en matière de consommation animale ont ainsi pris racine dans le terreau anthropologique de la religion et de la mythologie, puis se sont diversifiées et complexifiées. « S’interdisant de manger des viandes non saignées, mais refusant de verser le sang des victimes sur leurs autels, les chrétiens de l’Antiquité proscrivirent aussi la consommation des animaux sacrifiés selon les rites païens » note l’historien Jean-Louis Flandrin. « À partir de là, on aurait pu imaginer deux attitudes : ou bien renoncer totalement à l’alimentation carnée comme impure, ou bien désacraliser la mise à mort des animaux. C’est la seconde que l’Église a officiellement choisie. " La suite de l'article revue " Nouvelles Clés",
article de Karine Lou Matignon, paru dans la revue "Nouvelles Clés" , actuellement en kiosque http://www.nouvellescles.com/
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