Belo Monte, le barrage de trop pour l'Amazonie
(De Belo Monte) Le chantier d'un troisième complexe hydroélectrique -le plus puissant du monde- doit démarrer en septembre au Brésil, accentuant la pression sur l'Amazonie. Reportage.
Janice Cuhna, biologiste à l'université d'Altamira, petite ville de 100 000 habitants endormie au bord de la rivière, est catastrophée quand elle parle de ce projet :
« La construction du barrage de Belo Monte sur le Xingu sera un désastre pour l'écosystème déjà si fragile de la région. »
Belo Monte -barrage de 6 km de large avec des canaux de dérivation gigantesques- doit devenir dans dix ans le troisième complexe hydroélectrique le plus puissant du monde, en plein cœur de l'Amazonie.
Sirio Gomez, l'ingénieur en chef du barrage, préfère s'enthousiasmer :
« C'est comme si on construisait un canal de Panama au milieu de la forêt. »
Le premier coup de pioche doit être donné dans quelques semaines sur les rives du Xingu, un des plus gros affluents de l'Amazone. Six cents kilomètres carrés de forêt seront inondés et deux cents kilomètres de rivière asséchés.
« Certains prédateurs vont proliférer »
Conséquence : de nombreuses espèces de poissons vont disparaître. « Ces mêmes espèces sont protégées par des lois fédérales », s'insurge la biologiste, spécialiste de la faune aquatique.
« La stagnation des eaux va changer l'acidité et la température du Xingu et l'équilibre de la rivière sera bouleversé. Certains prédateurs vont proliférer et pourraient mettre en danger l'existence même de la vie dans le lac d'accumulation.
A terre, ce ne sont pas moins de 44 espèces de vertébrés qui seront menacées, principalement parmi les oiseaux, les tortues et les lézards. »
Constat réfuté par Sandra Xavier, secrétaire générale du consortium en faveur du projet :
« Le gouvernement a commandé une étude d'impact environnemental avant d'autoriser la construction. Le projet est conçu de telle manière que ces impacts soient minimaux au regard des avantages que procurera la construction du barrage. »
C'est justement à propos de ce rapport que partisans et opposants au projet se déchirent. « Comment voulez-vous croire en ce rapport, alors qu'il a été écrit par l'entreprise mandatée pour la construction », fulmine Renata Pinheira, biologiste et spécialiste des questions environnementales.
« Quarante scientifiques brésiliens indépendants se sont penchés sur ce rapport, ils n'y ont relevé que contradictions, incohérences, falsifications, le tout étayé par des données la plupart du temps fantaisistes. »
Contre-attaque de Sandra Xavier, secrétaire du consortium :
« Ce rapport a été minutieusement épluché par le ministère de l'Environnement. Certains points ont même dus être réexaminés par les auteurs du projet, car nous voulons éviter que les erreurs commises à Tucuiri ne se répètent ici à Altamira. »
A Tucuiri, les riverains chassés par la montée des eaux
Tucuiri, situés à trois cents kilomètres à l'est d'Altamira, est le quatrième plus puissant barrage du monde et représente ce que les riverains veulent à tout prix éviter. Une fois le barrage terminé, la ville a été abandonnée.
Les riverains chassés par la montée des eaux n'ont jamais été indemnisés malgré les promesses et la région a été envahie par les moustiques à cause de la stagnation des eaux provoquant une forte recrudescence des cas de malaria.
De plus, les 2500 km² de forêt inondés par le barrage émettent, en se décomposant sous l'eau, autant de gaz à effet de serre par année que la Suisse en trois mois.
Antonia Melo, leader de la lutte contre le barrage et directrice de la fondation Vivre, produire et préserver, proteste :
« Pour Belo Monte, on a promis de couper les arbres avant d'inonder les terres. Je n'y crois pas, comment voulez-vous couper 600 km² de jungle impénétrable en si peu de temps ?
Mais le pire n'est pas l'inondation, mais bien l'assèchement de la rivière en aval du barrage. Plus de 10 000 familles vont devoir déménager sans indemnités car la loi brésilienne ne prend en compte que les gens touchés par la montée des eaux. »
A ces milliers de familles, s'ajouteront toutes celles attirées par la promesse d'un emploi lié à la construction du barrage.
« Les Indiens vont devoir s'adapter ou disparaître »
« On estime à environ 100 000 le nombre de personnes qui vont arriver à Altamira, soit un doublement de la population en deux ou trois ans », explique, de son coté, Carlos Antonio Magalhaes. Et cet anthropologue basé à Belem d'ajouter, désabusé :
« Tous ces gens vont s'installer de manière anarchique car rien n'est prévu pour un tel afflux de population. La plupart d'entre eux vont défricher des terres pour s'installer en territoire indien. Les Indiens vont donc se retrouver confrontés à une société qu'ils ne connaissent pas, ils vont devoir s'adapter ou disparaître. Ce barrage est un exemple des contradictions permanentes qui caractérisent ce gouvernement.
Après avoir réussi à créer un immense couloir dans la région pour protéger la biodiversité en Amazonie, il va tout détruire au nom du développement économique du pays. »
Photo : deux jeunes filles rient dans une barque sur le Xingu, près d'Altamira, le 28 avril 2010 (Ricardo Moraes/Reuters)
En partenariat avec La Tribune des droits humains
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